2
A moins d’un kilomètre au-delà de la paroi de transparacier, l’horizon criblé d’antennes plongeait dans des abîmes de ténèbres où flottaient astéroïdes errants et étoiles distantes. De petits halos bleus apparaissaient çà et là, s’animant et grossissant à l’arrière des énormes barges-cargos chargées du duracier en provenance des lointaines chaînes de fabrication. Les transporteurs de personnel striaient l’obscurité de leurs longues tramées ionisées, filant d’un site de construction à un autre au milieu de la centaine de cales sèches orbitales. Dans chacune d’elles, de gigantesques droïdes soudeurs illuminaient les infrastructures de vaisseaux en cours d’assemblage de tempêtes d’étincelles aveuglantes.
A son arrivée, Han Solo était parvenu à dénombrer pas loin de cinq cents vaisseaux de guerre en montage dans les vieux chantiers de Bilbringi. Il s’agissait pour la plupart d’escorteurs, de corvettes et de petits appareils qu’il était possible de terminer à la va-vite. Mais il avait tout de même aperçu deux Destroyers Stellaires de classe impériale. Même s’il semblait évident que les deux énormes vaisseaux ne seraient pas achevés avant une attaque éventuelle des Yuuzhan Vong pour s’emparer du site, leurs coques étaient sur le point d’êtres scellées et leurs unités de propulsion avaient déjà été installées. Visiblement, le jeune Général Muun, un Sullustain, avait de la suite dans les idées. Le type même du bureaucrate ambitieux susceptible d’impressionner le haut commandement de Coruscant mais qui atteignait très vite les limites de la patience de Han.
Han aurait souhaité pouvoir disposer en cet instant des techniques de concentration Jedi dont son fils Jacen lui avait si souvent parlé. Il afficha un sourire aussi forcé qu’hypocrite et s’avança jusqu’au centre de la salle. Leia était assise sur une petite banquette, en compagnie du Général Muun. L’intensité de ses yeux bruns illuminait son visage avec ce même éclat qui avait tant séduit Han bien des années auparavant. Même s’il ne comprendrait jamais comment son épouse était parvenue à conserver cette brûlante ferveur après trente ans passés au service de la galaxie, Han considérait ce regard comme un véritable point d’ancrage, la seule constante qui semblait perdurer en dépit de décennies de combats, de peines et de pertes. A présent, lorsque les jambes de sa femme – guéries mais encore un peu faibles après l’épreuve presque fatale subie sur Duro – venaient à flancher, le cœur de Solo se figeait dans sa poitrine à la seule idée, toujours douloureuse, d’avoir pu perdre Leia. Depuis cette alerte, Han s’était juré qu’il ne tenterait plus jamais de l’exclure de ses pensées.
–… des milliers de vies sont en jeu, Général, était-elle en train de dire. Les Vray sont des êtres paisibles. Sans escorte, le convoi d’évacuation sera complètement vulnérable face aux Yuuzhan Vong.
– Et combien de vies perdra la Nouvelle République si Bilbringi tombe avant que la flotte ne soit achevée ? demanda Muun. (Les lourdes bajoues du Sullustain ondulaient doucement pendant qu’il parlait, mais ses sentiments demeuraient complètement enfouis derrière le masque plat de son visage.) Des planètes entières vont succomber. Ce qui signifie des millions de morts.
– Tout ce qu’elle vous demande, ce sont vingt appareils, dit Han.
Le général tourna ses yeux noirs vers Solo.
– Elle nous demande cinq croiseurs et quinze corvettes. Un quart des défenses de Bilbringi, alors que les Yuuzhan Vong sondent déjà nos postes de surveillance avancés.
– Mais nous vous laissons l’Intimidant, déclara Han de sa voix la plus posée. Quant aux autres vaisseaux, ils seront de retour au bout d’une semaine standard… Deux maximum.
– Je suis désolé, mais c’est non, dit Muun, secouant la tête et commençant à se lever.
Un signal sonore retentit de la console sécurisée de communication installée sur le bureau du général. C-3PO, qui se tenait jusqu’alors derrière la banquette, releva la tête.
– Voulez-vous que je prenne cet appel pour vous, Général ? demanda-t-il.
– Seulement s’il s’agit d’une urgence, dit Muun en hochant la tête. Sinon, dites que je rappellerai ultérieurement.
– Merci, C-3PO, dit Han. (Toute interruption risquait d’amenuiser leurs chances d’obtenir l’escorte demandée. Solo se laissa choir dans le fauteuil qui faisait face au siège du général.) Vous semblez oublier à qui vous parlez, Général.
Les yeux de Leia se teintèrent brusquement d’inquiétude.
– Han…
– Il n’y a pas si longtemps, elle aurait pu tout simplement vous ordonner de lui confier les vaisseaux, continua Solo. S’il y a bien quelqu’un qui mérite…
– Je sais parfaitement ce que mérite la Princesse, dit Muun, se rasseyant à contrecœur. J’ai étudié toutes les vidéos historiques à l’Académie.
– Les vidéos historiques ? gronda Han. Depuis combien de temps êtes-vous dans l’armée ? Moins d’un an ? (Il jeta un coup d’œil par le dôme de transparacier en direction des cales sèches qui bourdonnaient d’activité.) Vous avez dû obtenir un sacré résultat aux examens pour obtenir ce haut commandement si rapidement.
Un tremblement indigné parcourut les bajoues du Sullustain. Avant qu’il puisse répondre, C-3PO prit la parole :
– Je vous prie d’excuser cette interruption, mais un émissaire Yuuzhan Vong souhaite rencontrer la Princesse Leia.
– Quoi ? demandèrent les époux Solo à l’unisson.
– Dis-lui non ! tonna Han.
– Comment m’a-t-il trouvée ? demanda Leia.
C-3PO émit un message d’un millième de seconde, sous forme de cri numérique, dans le communicateur. La réponse lui parvint quelques instants plus tard.
– L’émissaire Yuuzhan Vong refuse de révéler cette information à l’officier de garde, mais il assure, au nom de Yun-Yammka, ne vous vouloir aucun mal.
– C’est non, dit Han.
Leia foudroya son mari du regard, puis se tourna vers C-3PO.
– Dis-lui que je lui ferai parvenir mes instructions dans quelques instants.
– Ça ne va pas ? Le cosmos te tourne la tête ? (Han savait bien qu’il ne l’emporterait pas dans cette discussion, mais il se devait au moins d’essayer. Ayant déjà perdu son meilleur ami par le fait des Yuuzhan Vong, il était farouchement déterminé à ne pas perdre son épouse.) A moins que tu n’aies oublié Elan et la tentative des Bo’tous ? Dois-je te rappeler que tu as failli perdre l’usage de tes jambes l’an passé sur Duro ?
– Je n’ai rien oublié du tout, dit Leia d’un ton calme. (Elle se tourna vers leur hôte.) Mais je suis certaine que le Général Muun aimerait savoir, au moins autant que moi, comment cet émissaire Yuuzhan Vong a découvert ma présence ici.
– Effectivement, répondit le Sullustain en hochant la tête.
– On ne peut pas laisser un Yuuzhan Vong approcher de Bilbringi ! lança Han, comprenant soudain que Muun était son seul allié pour essayer d’empêcher Leia de prendre des risques. Le seul inventaire des appareils…
–… ne sera utile à nos ennemis que si le compte est exact. (Le Sullustain ne prit même pas la peine de regarder dans la direction de Han. Ses bajoues se soulevèrent en une sorte de sourire figé.) Cela fait bien longtemps que nous attendons une telle occasion, dit-il à Leia.
– Alors, je suis ravie de pouvoir vous offrir cette possibilité. (La Princesse se tourna vers C-3PO.) Tu peux annoncer au Yuuzhan Vong que nous lui accordons le droit d’accès.
– Du moment qu’il est sans arme et sans masque, ajouta Han d’un ton morose. (Les deux gardes du corps Noghri de Leia, qui attendaient dans le couloir, derrière la porte du bureau de Muun, aimeraient encore moins cela que lui. Eux non plus ne réussiraient certainement pas à convaincre Leia qu’il s’agissait d’une mauvaise idée.) Et au moindre signe d’entourloupe…
– Il a déjà promis de se conduire honorablement, répondit C-3PO. Cela dit, si vous voulez mon avis, la promesse d’un Yuuzhan Vong a autant de valeur que celle d’un Jawa.
Le Général Muun s’avança jusqu’à son bureau et ouvrit un canal de communication avec son responsable de la sécurité.
– Commencez l’opération Fin de Trêve. Il ne s’agit pas d’un exercice.
Han et les gardes du corps passèrent les deux heures suivantes à convertir l’une des chambres d’interrogatoire de la vieille base impériale en une salle d’entretiens jugée suffisamment sûre pour Leia. Le système de sécurité principal était un panneau de transparacier qui séparerait les interlocuteurs au cours de la discussion. La pièce était également équipée d’une batterie de biocapteurs chargés de surveiller les constantes corporelles du Yuuzhan Vong, d’un compensateur de pressurisation pour contenir tout poison que l’émissaire tenterait d’introduire dans la salle et d’un « bouton d’éjection » permettant d’ouvrir la chambre sur le vide extérieur.
Les préparatifs conduits par le Général Muun furent aussi efficaces et deux fois plus rapides. A peine avait-il transmis son ordre que tout travail s’interrompit dans les cales sèches et que les lumières des chantiers s’éteignirent, donnant ainsi l’impression que le site était délaissé. Au moment où les vaisseaux éclaireurs apparurent au-dessus du planétoïde, seules trois cales sèches d’allure délabrée demeuraient encore en fonction, leurs équipes réduites d’ouvriers allant et venant, apportant à la va-vite un semblant de touche finale à une demi-douzaine de corvettes peu conséquentes. La plupart des autres sites n’étaient même plus visibles dans la noirceur de l’espace. Les quelques cales sèches que l’on pouvait encore discerner ne contenaient que des coques de vaisseaux à moitié achevées, abandonnées par des ouvriers dans la hâte d’une évacuation prématurée. Qu’il ait ou non mérité son commandement à un si jeune âge, le Général Muun avait fait preuve d’une réelle intelligence, digne de l’admiration de Han. D’après ce qu’il pourrait apercevoir, l’émissaire Yuuzhan Vong n’encouragerait guère ses congénères à s’attaquer aux chantiers de construction de Bilbringi.
C-3PO annonça l’arrivée de l’émissaire, puis une douzaine de gardes pénétrèrent dans la chambre d’interrogation en compagnie du Yuuzhan Vong, qui n’avait bénéficié que de très peu de décorum diplomatique. Quelque chose ressemblant à un œil artificiel lui avait été confisqué et reposait dans la main d’un officier de la sécurité. On l’avait également débarrassé de ses vêtements et il ne portait plus qu’une cape réglementaire de la flotte dont il avait relevé la capuche. Il portait dans ses bras une créature d’aspect spongieux, évoquant l’un de ces villips que les Yuuzhan Vong utilisaient pour communiquer sur de longues distances, mais ce modèle-là était plus gros et plus gélatineux. Les officiers scientifiques du chantier avaient passé la créature au crible afin de déceler la moindre trace d’arme Yuuzhan Vong connue et avaient confirmé qu’il s’agissait bien d’un objet organique de communication. Mais Adarakh et Meewahl, les gardes du corps Noghri de Leia, insistèrent pour procéder à une nouvelle inspection. Ils flairèrent, palpèrent, pressèrent la chose au point que Han crut qu’elle allait éclater. Solo posa sa main sur le bouton d’éjection. Tant que quelqu’un ne lui expliquerait pas comment cette sorte de protozoaire géant était capable d’envoyer des messages à travers toute la galaxie aussi efficacement que le réseau HoloNet, il ne ferait confiance à personne.
Une fois que tout le monde fut satisfait, les soldats forcèrent l’émissaire à s’asseoir sur la seule et unique chaise que contenait la pièce. Puis ils sortirent et verrouillèrent la porte.
Leia s’avança jusqu’au panneau de transparacier.
– Je suis Leia Organa Solo, annonça-t-elle.
– Oui, je sais, nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer. Sur la planète Rhommamool. (La voix de l’émissaire était rocailleuse et arrogante, et Leia se sentit pâlir. Son interlocuteur déposa sa créature sur la table et ôta sa capuche, révélant son visage mutilé – dont l’une des orbites était vide – de Yuuzhan Vong.) Et, sur Duro, nous avons même travaillé ensemble pendant quelque temps.
– Cree’Ar ? (La main de Leia se posa instinctivement sur la crosse de son sabre laser, celui que Luke avait fabriqué pour elle bien des années auparavant, Tsavong Lan ayant détruit son autre sabre l’année précédente sur Duro.) Nom Anor !
– Vous avez une excellente mémoire. (Le Yuuzhan Vong observa froidement Leia.) Comment va votre fils Jacen ? Et Mara ? Est-elle toujours en convalescence ? Vous savez combien l’état de votre belle-sœur m’intéresse.
Han sentit le bouton d’éjection lui brûler la paume de la main et remarqua qu’il était sur le point d’appuyer dessus.
– Cause toujours, mon vieux… (Pendant la chute de Duro, Nom Anor avait tenté de tuer Mara et Jaina, essayé d’orchestrer la mort de Leia et Jacen et, auparavant, était parvenu à infecter Mara au moyen d’une grave maladie qui avait coûté à la jeune femme deux ans de soins intensifs.) Rien ne me ferait plus plaisir que de t’éjecter dans l’espace…
Le sourire de Nom Anor se fit sournois.
– Avant même d’entendre ce que je suis venu vous annoncer ? De plus, je ne pense pas que Leia Organa Solo soit à même de rompre sa promesse me garantissant le droit d’accès.
– Ma promesse, certes, pas celle de Han, dit Leia. Son contrôle de ses nerfs n’est plus ce qu’il était. Comment saviez-vous que j’étais ici ?
– Avec l’évacuation du peuple Vray, où donc iriez-vous chercher une escorte ? (Nom Anor fit un geste en direction de la créature posée sur la table.) Puis-je ?
– Cela fait des semaines que les Vray ont évacué, dit Leia, continuant de presser son interlocuteur pour obtenir une réponse à sa question. (Han pensa que, si un espion rôdait à Bilbringi, Nom Anor se garderait bien de le leur dire. Son silence, cependant, serait de toute façon tout aussi utile pour le Général Muun.) Et cela ne fait que quelques heures que nous sommes arrivés.
– Il va sans dire que nous observons Bilbringi. Et c’est tout ce que je peux vous dire à ce sujet. (Sans en demander la permission, cette fois-ci, Nom Anor réveilla sa créature d’une tape sèche.) Tsavong Lah souhaite que vous regardiez ceci.
La créature fondit en un disque plat et se mit à luire d’une bioluminescence jaunâtre. Les rayons lumineux dessinèrent un long navire stellaire, avec une proue massive et le pont très distinct en forme de marteau des énormes paquebots civils de la Corporation d’Ingénierie Corellienne. Le navire devait flotter au point mort dans l’espace, car aucun flux ionisé ne provenait de ses réacteurs et ses portes de soutes étaient grandes ouvertes.
– Ce navire stellaire est le Chasseur de Nébuleuses, annonça Nom Anor. La retransmission est en direct.
Le cœur de Han fit un bond jusque dans sa gorge. Le Chasseur de Nébuleuses était le vaisseau à la rencontre duquel étaient parties Mara et Jaina. Leur mission devait être des plus simples, un rendez-vous rapide dans un secteur sûr, puis retour à la base. Apparemment, quelque chose avait mal tourné. Il adopta une mine impassible de joueur de sabacc endurci et se força à ne pas regarder en direction de sa femme.
– Très impressionnant, dit Leia. (Elle devait certainement être aussi inquiète que Han, mais sa voix était toujours aussi sèche et moqueuse.) Vous avez donc appris à transmettre des hologrammes. J’ai hâte de jeter un coup d’œil à vos holofilms sur le Net.
– Les Yuuzhan Vong maîtrisent la lumière vivante depuis des siècles, grogna Nom Anor. Je vous montre cet appareil car le Maître de Guerre estime que vous seriez certainement prêts à négocier.
Nous y voilà, songea Han. Il écarta sa main du bouton d’éjection, sachant qu’il n’aurait pas la force de résister si Nom Anor lui déclarait que les Yuuzhan Vong détenaient sa fille en otage.
– Tsavong Lah se trompe, dit Leia. (Sa voix était devenue un peu plus froide, seul indice de la boule glacée qui devait certainement se former au creux de son estomac.) Je préférerais négocier avec un Hutt.
– Les Hutts ne détiennent pas ce qui vous intéresse, rétorqua Nom Anor en perforant l’hologramme d’un de ses doigts griffus. Il y a dix mille réfugiés à bord de ce vaisseau et leur salut dépend de vous.
– J’en doute. Si c’est tout ce que Tsavong Lah souhaitait me montrer, alors notre entretien est terminé.
Leia tourna le dos à Nom Anor et s’éloigna du panneau de transparacier. Han eut la tentation de lui crier que la vie de leur fille était en danger, mais il se retint, conscient que son épouse était en train de défier l’arrogance de son interlocuteur.
Elle avait déjà atteint la porte lorsque Nom Anor la rappela.
– Vous pouvez tous les sauver, dit-il en se levant pour dominer le faisceau de bioluminescence. Révélez-moi simplement l’emplacement de la base secrète des Jedi.
Leia posa les yeux sur Han, se demandant visiblement si Nom Anor était sincère lorsqu’il prétendait qu’il était encore temps de sauver Jaina, Mara et les réfugiés.
– Il n’y a pas de base secrète des Jedi, dit-elle enfin.
Nom Anor poussa un soupir théâtral.
– Princesse Leia, vous me discréditez aux yeux de Tsavong Lah. (Il laissa son menton retomber sur sa poitrine.) Je lui ai bien dit que vous ne seriez pas prête à sacrifier tant de vies pour en sauver si peu. Mais il est persuadé que vous êtes prête à en sacrifier d’autres – beaucoup d’autres – afin de protéger les Jedi.
Pendant que Nom Anor parlait, une salve de balles de plasma stria l’hologramme et explosa à la surface du navire privé de boucliers, forant des cratères incandescents dans la coque de duracier. Des nuages noirs de débris gros comme des têtes d’épingle et des jets de vapeur atmosphérique fusèrent dans l’espace. Une autre salve de plasma fut alors propulsée. La plupart des balles pénétrèrent par les déchirures causées par la première rafale et s’en allèrent perforer les cloisons intérieures du vaisseau. Les nuages s’assombrirent, de plus en plus de débris furent éjectés dans le vide glacé. Soudain, l’image changea et un agrandissement de la zone de la rupture apparut, révélant que les débris n’étaient autres que les corps des passagers du paquebot, fracassés par la dépressurisation et tourbillonnant comme des pantins.
– La sagesse de Tsavong Lah est aussi vaste que cette galaxie elle-même, dit Nom Anor, roulant son seul œil valide au ciel, comme satisfait d’une bonne plaisanterie, avant de faire un geste vers l’hologramme. Ils sont en train de périr parce que des Jedi se trouvaient à bord. Si les Jedi ne souhaitent pas que d’autres y laissent encore la vie, dites-leur de se rendre dans un délai d’une semaine standard.
– D’autres ? (Han savait que c’était exactement la question que Nom Anor attendait de lui, mais il ne parvint pas à s’empêcher de la poser. Il lui fallait savoir ce qui était arrivé à Jaina.) Combien d’autres ?
– Vos éclaireurs vous confirmeront que nos flottes ont encerclé la planète Talfaglio. Pendant la semaine qui vient, tous les vaisseaux de réfugiés seront contenus sur orbite. Si les Jedi se rendent, le convoi sera autorisé à prendre l’espace. Si les Jedi refusent de se rendre, le convoi sera détruit. (Nom Anor baissa les yeux vers la main de Han qui flottait au-dessus du bouton d’éjection avant d’ajouter :) Tout comme il sera détruit si je manque à l’appel.
– Vous espérez que les Jedi vont capituler ? demanda Han. (Il était trop soulagé que Nom Anor n’ait rien dit au sujet de Jaina ou de Mara pour être réellement peiné par le décès de dix mille étrangers. Peut-être aurait-il dû se sentir coupable. Pour l’heure, tout ce qui lui importait était de savoir que les deux femmes étaient vivantes.) Tu peux toujours courir, mon vieux. Autant en finir tout de suite.
Han fixa Nom Anor droit dans les yeux – dans l’œil – puis il baissa lentement la main vers le bouton d’éjection, souriant d’un air mauvais, laissant à Leia une dernière possibilité de l’arrêter. Le Yuuzhan Vong soutint le regard du Corellien en souriant de façon méprisante. Il ne détourna même pas la tête lorsque la main de Han effleura le dessus du bouton. Solo marqua une courte pause, attendant que Leia l’empêche de continuer. Mais elle ne dit rien. Il se tourna vers elle et découvrit qu’elle observait attentivement l’émissaire, ses yeux bruns bouillonnant de rage.
– Qu’est-ce que tu attends ? demanda-t-elle.
– Vraiment ?
– Vas-y… dit Leia en hochant la tête.
Le ton de sa voix mit Han quelque peu mal à l’aise. Il comprit soudain que Nom Anor avait peut-être omis d’évoquer le sort de Jaina et de Mara pour une autre raison. Une raison à laquelle Leia avait visiblement déjà pensé. Il était tout à fait possible que les deux femmes se soient trouvées à bord du Chasseur de Nébuleuses pendant l’explosion, les Yuuzhan Vong ne sachant pas alors qui ils venaient de tuer.
Han appuya doucement sur le bouton d’éjection et un sifflement se produisit lorsque les panneaux du plafond commencèrent à s’entrouvrir. L’œil valide de Nom Anor s’écarquilla.
– Vous êtes fous ? cria-t-il en se levant d’un bond. Vous allez causer la mort de millions de gens !
Leia se pencha et releva le bouton d’éjection, bloquant les panneaux du plafond en cours d’ouverture.
– Pas nous. Vous.
L’air continuait de s’échapper de la salle en hurlant. L’image du Chasseur de Nébuleuses disparut lorsque la créature villip se recroquevilla sur elle-même. Nom Anor regarda le plafond, puis baissa la tête vers Leia. Son affreuse figure se tordit sous l’effet de la surprise. Leia attendit que le Yuuzhan Vong porte enfin ses mains à ses oreilles afin de se protéger pour tirer sur le bouton d’éjection et refermer les panneaux du plafond.
Lorsque Nom Anor ôta enfin les mains de ses oreilles, la Princesse prit la parole :
– Retournez auprès de votre Maître de Guerre et racontez-lui comment nous vous avons traité. Dites-lui que les Jedi n’acceptent pas d’assumer la responsabilité des vies qu’il met en danger et que tout émissaire qui se présentera ici en formulant des menaces similaires ne sera pas renvoyé auprès des siens.
Nom Anor hocha la tête. Sans pour autant paraître docile, il avait tout de même quelque peu perdu de son caractère hautain.
– Je lui dirai. Mais cela ne changera rien. (Il alla jusqu’à la porte et attendit qu’on lui ouvre.) Le Maître de Guerre sait que son plan marchera, ajouta-t-il. Et, jusqu’à présent, il ne s’est encore jamais trompé.
Luke Skywalker savait qu’un séjour prolongé dans une cuve à Bacta, s’il allait réparer tous les dommages physiques, ne pourrait jamais effacer totalement l’angoisse qui subsistait chez Alema. Cette angoisse, il pouvait la percevoir clairement alors qu’elle était encore en train de flotter dans le bain, toujours absorbée dans son intense transe curative. Son tourment ne ferait qu’empirer, à son réveil, lorsqu’elle apprendrait ce qui était arrivé au Chasseur de Nébuleuses. A l’angoisse s’ajouteraient des sentiments de culpabilité, de colère… Et la peur de cette chose qui avait tué sa sœur. Déjà bien proche de basculer vers le Côté Obscur pendant qu’elle dirigeait la résistance de New Plympto, elle n’en serait alors que plus facilement attirée vers celle-ci, plutôt que d’accepter la responsabilité de la mort de sa sœur, de la destruction de New Plympto et du sort du paquebot stellaire. En fait, la question n’était pas de savoir si, oui ou non, Alema Rar basculerait vers le Côté Obscur de la Force, mais plutôt de savoir quand et pour combien de temps.
La porte de l’infirmerie coulissa en chuintant derrière Luke. Il se retourna et vit Cilghal, sur le seuil, qui l’observait de ses grands yeux humides.
– Je suis désolée de vous déranger, Luke, mais votre beau-frère demande à s’entretenir avec vous. Il semble persuadé que vous lui cachez quelque chose.
Luke ne put s’empêcher de sourire.
– Ce cher vieux Han. C’est bon de le savoir redevenu comme avant.
L’immense bouche de Cilghal s’écarta en un caractéristique sourire Calamarien.
– Oui, c’est vrai.
Luke la suivit dans le corridor circulaire et se dirigea vers la salle de conférences. Comme la majeure partie du reste de la nouvelle base, le tunnel avait été percé au laser dans la roche brute. L’intérieur avait été ensuite isolé au moyen d’un enduit de plastimousse souple et blanc, ce qui conférait à l’excavation une douceur et une luminosité qui n’avaient rien à voir avec celles d’une caverne traditionnelle. La mousse jouait également le rôle d’excellent protecteur thermique. Elle conservait si efficacement la chaleur générée par les équipements que la plupart des occupants de la base, toutes espèces confondues, avaient choisi de ne porter pour seul vêtement que leurs combinaisons spatiales d’urgence – dont l’utilité se révélait encore trop souvent nécessaire – en prenant soin d’en laisser tous les soufflets en position ouverte. Les ingénieurs travaillaient d’arrache-pied à corriger ce problème, mais les habitants comparaient déjà leurs chambrées à des cabines de sauna.
Luke pénétra dans la salle de conférences et y retrouva ses neveux, Jacen et Anakin, attendant avec Danni Quee, Tahiri Veila et quelques autres Jedi. Un petit hologramme représentant Han et Leia flottait au-dessus du projecteur holographique installé au centre de la table. Han était en train de presser ses fils de questions, leur demandant pourquoi leur sœur ne se trouvait pas avec eux dans la pièce. Quant à Leia, elle avait plutôt l’air embarrassée.
Luke rejoignit les autres à la table et, au grand soulagement de ses neveux, prit place dans l’arc du capteur holographique.
– Han, Jaina est au centre de transmission avec R2. Ils essaient d’amplifier les signaux reçus du Chasseur de Nébuleuses. Elle nous rejoindra dès qu’elle le pourra, mais, pour l’heure, elle ne peut pas interrompre ses recherches.
Han fronça les sourcils, mais sembla accepter l’explication.
– Tu as entendu parler de la menace ?
– Il y a quelques minutes, répondit Luke en hochant la tête.
– Alors, qu’est-ce qui t’a pris tant de temps ?
– J’étais auprès d’Alema Rar, dit Luke. Elle n’avait pas bouclé sa ceinture lorsque la capsule a été éjectée et elle est salement amochée. Elle n’a pas dit grand-chose sur le chemin du retour, excepté « voxyn ». J’étais donc en train d’essayer de capter une impression subconsciente de ce qui était arrivé à sa sœur.
– Une impression subconsciente ? demanda Han en plissant les yeux.
– Par le truchement de la Force, Han, dit Luke, commençant à perdre patience. (Même si Han était presque redevenu lui-même, la peine causée par la mort de Chewbacca continuait de se manifester parfois de façon bien étrange. Depuis peu, il s’agissait de sautes d’humeur qui incitaient souvent Leia et ses enfants à désirer se cacher derrière le premier astéroïde venu.) Jaina va bien. Et Mara aussi.
– Alors, comment ça se fait que Mara ne soit pas là ?
– Mara ne peut pas, non plus, laisser tomber ce qu’elle est en train de faire, répondit Luke. Elle s’occupe de nourrir Ben.
– Je te prie de nous excuser pour notre nervosité, intervint Leia, adressant à son mari un regard ennuyé. Mais c’est une sacrée démonstration que Nom Anor nous a faite. Dix mille morts. Et je doute qu’il se serait réellement arrêté là si je lui avais révélé l’emplacement d’Eclipse. Qu’est-ce qu’on va faire au sujet de Talfaglio ?
– D’abord, souvenez-vous qu’en laissant les Yuuzhan Vong tenter de nous rendre responsables de ce qui s’est passé, nous ne faisons qu’entrer dans leur jeu, dit Luke. Nous devons toujours nous rappeler que ce sont eux les assassins, pas nous.
– C’est exact dans les faits, Maître Skywalker, dit Cilghal, s’adressant à Luke de façon bien plus formelle, à présent qu’ils étaient en présence d’un plus large auditoire. Mais cela me gêne considérablement de fermer les yeux sur la mort de tant d’individus. Que la responsabilité nous en incombe ou non, nous devons faire quelque chose pour les empêcher de continuer.
– Et nous ne sommes pas complètement innocents non plus, fit Jaina en investissant la salle en compagnie de R2-D2 et de plusieurs autres Jedi. (La nouvelle concernant la menace de Tsavong Lah se propageait très vite et des membres du personnel de la base étaient en train de rejoindre le lieu de la réunion.) Il y avait des Jedi sur le Chasseur de Nébuleuses et ces mêmes Jedi dirigeaient la résistance sur New Plympto. Les sœurs Rar ont condamné le vaisseau stellaire à l’instant même où elles ont embarqué à son bord. Tout comme nous l’avons condamné en acceptant d’aller à sa rencontre.
– Et comment peux-tu croire que les Yuuzhan Vong n’auraient pas capturé les passagers pour les offrir en sacrifice à leurs dieux, hein ? demanda Danni Quee, toujours prompte à souligner les faiblesses des arguments de ses interlocuteurs. (Femme de petite taille, avec de grands yeux verts et des cheveux blonds et bouclés, Danni avait été l’un des premiers prisonniers des Yuuzhan Vong. La première, en tout cas, à découvrir leurs méthodes de tortures.) Nous ne pouvons pas présumer de la façon dont pensent ces tueurs, reprit-elle. Cela n’entraînerait que des erreurs. De graves erreurs.
Tout en parlant, Danni s’était écartée pour laisser Jaina rejoindre Luke dans l’arc du capteur de l’holocommunicateur.
– Salut, M’man, salut, P’pa, dit Jaina. Désolée de vous avoir fait attendre.
– On n’a pas attendu tant que ça, répondit Leia.
La tension disparut totalement du visage de Han Solo et il ajouta :
– Oui, pas de problème…
Le calme dura encore une seconde, jusqu’à ce qu’Anakin Solo, ses cheveux bruns plus en bataille que jamais, ne se décide à propulser le cours de la conversation à la vitesse de la lumière :
– Bon, écoutez. Je ne pense pas qu’il soit important de savoir maintenant si nous sommes responsables ou non. Il y a des centaines de milliers, peut-être des millions de vies qui sont en jeu. Il faut que nous fassions quelque chose, c’est tout.
– Et que veux-tu que nous fassions, Anakin ? demanda Luke.
Tahiri répondit à sa place :
– Briser leur blocus, bien entendu. (Du haut de ses quinze ans, la blonde et svelte Tahiri évoquait à bien des égards une version plus jeune de Danni Quee. Elle avait également été prisonnière des Yuuzhan Vong jusqu’à ce qu’Anakin vienne la sauver du laboratoire métamorphique où elle était retenue.) Faisons-leur payer pour qu’ils ne recommencent jamais. C’est la seule façon de leur rendre la monnaie de leur pièce.
– Et c’est exactement ce que les Yuuzhan Vong attendent de nous, dit Danni. S’ils considèrent les Jedi comme des guerriers, comparables à eux, alors ils s’attendront à une riposte.
L’hologramme de Han hocha la tête.
– Ils veulent faire sortir les Jedi de leur cachette. Ce serait de la folie que d’aller au-devant d’eux. Surtout en sachant qu’ils nous attendent au tournant.
– Alors nous allons laisser une planète de plus succomber sous leurs coups ? (La voix calme de Jacen produisit un contraste frappant avec la tension croissant dans la salle. Il se tourna vers Tahiri et Anakin.) Par ailleurs, brandir nos sabres laser ne fera qu’entraîner la mort d’un plus grand nombre de gens.
Anakin se renfrogna, comme c’était souvent le cas ces derniers temps lorsqu’il s’entretenait avec son frère aîné.
– Si tu préfères, tu peux rester à l’écart, en spectateur…
Jacen leva une main.
– Laisse-moi terminer, Anakin, tu veux ? Ce que je suis en train de dire, c’est qu’aucune option n’est vraiment valable. (Il se tourna vers le reste de l’auditoire.) Si nous combattons, les Yuuzhan Vong massacreront encore plus de gens. Si nous ne nous battons pas, ils les tueront quand même. Nous ne pouvons pas autoriser cela. Les Jedi sont tout de même supposés être les défenseurs de la vie dans cette galaxie, non ?
– Qu’est-ce que tu insinues, Jacen ? demanda Han. Que les Jedi doivent se rendre ? (Il ferma les yeux et tressaillit.) Dis-moi que ce n’est pas cela que tu veux…
– Personne ne va se rendre, Han, avança Luke.
Il éprouvait de la sympathie pour les préoccupations de son beau-frère. De tous les jeunes Chevaliers Jedi qui avaient rejoint Eclipse, Jacen était le plus philosophe, luttant souvent avec l’idée paradoxale qu’il était parfois nécessaire de détruire pour préserver quelque chose. Luke savait que les inquiétudes de son neveu provenaient de la vision perturbante qu’il avait eue sur la planète Duro. Une vision au cours de laquelle il avait vu la galaxie basculer doucement vers les ténèbres sans pour autant être capable de l’en empêcher. Terrifié à l’idée de rompre un peu plus l’équilibre, le jeune Jedi avait temporairement renoncé à l’utilisation de la Force. Même s’il avait de nouveau eu recours à ses talents lorsque cela s’était révélé nécessaire pour sauver la vie de sa mère, Jacen demeurait suffisamment incertain à propos de sa vision pour que ce sentiment de malaise le contraigne encore à l’inaction. Une situation au moins aussi périlleuse, à sa façon, que celle qui pouvait incessamment mettre la vie d’Alema en péril.
– Nous ne capitulerons pas, répéta Luke. Et nous ne laisserons pas les Yuuzhan Vong nous attirer au combat sans y être préparés. (Il se tourna vers Danni et Cilghal.) Le Programme Eclipse a-t-il déjà quelque chose à nous offrir ?
Danni secoua la tête.
– Pas vraiment. D’après les hologrammes, nous sommes maintenant capables de déterminer lorsqu’un yammosk coordonne une bataille. Mais il nous est encore impossible d’identifier ses schémas directeurs et sa façon de communiquer. Il va falloir qu’on s’approche de l’un d’eux.
Luke posa les yeux sur Cilghal.
– Et du côté des villips ?
– Je crains bien que mon équipe n’ait encore moins progressé, dit-elle. Les Yuuzhan Vong ont bien évidemment cessé d’utiliser les villips que nous avions capturés. Ce qui ne nous laisse guère d’autre choix que de les disséquer. Pour l’instant, nous n’avons pas la moindre idée de leur mode de fonctionnement.
Luke hocha la tête à l’intention des deux scientifiques.
– Il est encore trop tôt pour espérer faire de grands progrès, mais je suis certain que vous y arriverez. (Il se tourna vers le reste de l’assistance. Il devait bien y avoir une cinquantaine de personnes à présent, y compris Mara et Ben, leur tout jeune fils, ainsi qu’une douzaine de volontaires non Jedi ralliés à la cause.) Notre voie n’est pas encore toute tracée, mais une chose me semble claire : ce serait de la folie de laisser les Yuuzhan Vong nous entraîner dans une bataille pour laquelle nous ne sommes pas encore prêts. J’espère que vous saurez vous montrer patients et que votre foi en la Force vous permettra de bien comprendre que le poids de la destruction du Chasseur de Nébuleuses doit reposer sur les épaules des véritables responsables.
Le groupe murmura son approbation et l’assistance commença à évacuer la salle. Mara s’approcha de son époux.
– Bien envoyé, Luke. (Serrant Ben contre elle, elle se hissa sur la pointe des pieds pour l’embrasser.) Mais je me sentirais tellement mieux si la Force pouvait enfin peser sur les épaules des Yuuzhan Vong.